Je ne me souviens plus

Publié le 19 Juin 2013

Je ne me souviens déjà plus qui l'a laissé sortir. C'était pourtant il y a quelques minutes seulement. Je crois avoir fermé la porte mais en suis-je vraiment sure... Maintenant j'ai peur qu'il ne redescende plus.

La fatigue physique m'a déjà envahie depuis longtemps, mes muscles sont fatigués de la randonnée du jour, même si le jeu en valait la chandelle : la cascade était magnifique. L'apéritif servi par notre hôte accompagné de fromage et de crackers puis un repas plutôt arrosé ont eu raison du peu d'énergie qui me restait.

Mon esprit, lui, est encore vif. Ma main caresse les cheveux de MrPoilu qui a posé sa tête sur mes genoux, en s'étalant sur ce banc. Il ronfle déjà. L'air est tiède.

L'écureuil à une patte cassée grimpe le long de l'arbre avant de sauter sur le bord de la balustrade. Nos regards se croisent, il s'arrête brutalement, et reprend sa course vers la table où ont été étalées à son intention des cacahuètes. Il en décortique une, mange rapidement et repart.

Rien ne redescend de l'arbre. Avais-je laissé la porte ouverte?

Brusquement j'entends les canards sur la rivière en contrebas s'agiter et cancaner. Peut-être se battent-ils. Cela dure quelques minutes. Et aussi brutalement qu'ils ont commencé, ils s'arrêtent puis s'envolent.

La nuit tombe doucement et les grillons chantent dans les jardins alentours. Bientôt ne restera plus pour nous éclairer que l'énorme bougie sur la table dont la flamme vacille. Un train siffle dans le lointain.

Je lève les yeux vers ce ciel sans nuage, en savourant la douceur de l'instant.

Des oiseaux chantent encore. La nuit est pourtant tombée. Ils sont de moins en moins nombreux. Ils ont compris que les grenouilles avaient pris le relais. Elles coassent si forts qu'on croirait qu'elles sont juste à côté de nous, sur la terrasse de cette agréable maison victorienne.

MrPoilu grommelle qu'il faudrait aller se coucher. Je lui demande d'attendre un peu, j'espère encore que le chat redescendra. Ce chat né avec six doigts à chaque patte avant et cinq aux pattes arrières. Ce chat à vingt-deux doigts. Celui qu'il ne fallait pas laisser sortir et qui a grimpé à l'arbre.

Mon esprit divague. Je comprends Lewis Carroll. Ce soir je pourrais faire grimper une Alice dans un arbre à la poursuite du chat à la démarche d'éléphant. Elle rencontrerait un écureuil aux yeux vifs, un écureuil trop pressé, qui se serait blessé la patte en voulant jouer aux échecs. Il serait question d'un fromage à côté d'une bougie. Une bougie qui parlerait bien entendu, avec une voix très grave, et aurait de gros yeux jaunes, une bougie susceptible. Et puis le chat blanc au nœud papillon rouge et chapeau rayé rouge et blanc portant un bocal avec un poisson rouge l'aiguillerait sur un chemin herbeux en direction du coassement des grenouilles au bord de la rivière. Mais les grenouilles seraient trop occupées à discuter avec les canards de leur annuelle compétition de chant. Oui, tout cela semble tellement réel...

Quelque chose m'a piqué la jambe. Le chat ne redescendra pas. L'instant magique est terminé. Je lui caresse la joue en chuchotant :

- MrPoilu, il est temps d'aller se coucher.

Rédigé par Fluorette

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A
Un très agréable moment de lecture. Merci pour ce billet reposant et agréable. Je viens de découvrir votre blog et je pense que j'y reviendrai souvent si c'est pour lire des billets de ce genre !
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B
Comme il est doux et reposant ce billet. C'est apaisant de lire ta prose un soir d'été, quand le soleil n'est pas encore couché, avec un baby Georges endormi dans les bras. Jolie soirée à vous deux.
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