Mais, si tu m'apprivoises...

Publié le 6 Mars 2016

Secrétaire m’avait dit je sais que c’est pas votre patiente, elle est suivie par AssociéEnBaskets mais elle voudrait que ce soit vous aujourd’hui. J’ai grommelé, comme si j’avais pas assez de travail, que j’allais encore rentrer à pas d’heure, et patati et patata, et je l’ai quand même ajoutée à la liste sans fin de mes visites du jour. J’ai vu le sourire en coin de Secrétaire qui me connaît bien, j’ai attrapé ma mallette et je suis partie parcourir la campagne.

Quand je suis arrivée, j’ai vu le panneau attention chien méchant avec une photo de doberman, j’ai jeté un oeil dans la cour et je suis quand même courageusement entrée.

J’ai sonné, elle a ouvert la porte, elle m’a regardée des pieds à la tête, puis elle s’est effacée de l’embrasure et elle m’a laissée entrer.

Je l’ai suivie dans le salon. Il n'y avait pas de doberman, juste un petit truc genre bichon, sur le canapé.

Elle m’a proposé de m'asseoir. Face à face à la table de la salle. Et elle a commencé à râler, comme quoi tout le monde était méchant avec elle. Ses fils, celui qui est là, celui qui est pas là, Associé qui lui dit de manger moins sucré, les infirmières qui lui disent aussi, et la terre entière. Pour appuyer ses paroles, elle donnait un coup de poing sur la table de temps en temps. Et elle continuait de plus belle. Après avoir dit du mal de tout le monde, elle s’est brusquement arrêtée, elle m’a regardée par dessus ses lunettes et elle a attendu. J’ai rien dit. Alors elle a fini par dire bon bah c’est pour les médicaments en me tendant une ordonnance.

Là j’ai posé des questions. Elle a répondu. Du diabète, oui, de l’insuline, aussi. Des beignets ? Mais non enfin moi non jamais. Ceux qui sont posés là ? ben c’est la voisine qui les a apportés, non j’en ai mangé qu’un. De la tension, ça oui, du sel, bien sûr, pourquoi ? faut pas ? Ah ça je sais pas, faut demander aux infirmières. Etc.

Et je l’ai examinée.

Et j’ai nettoyé un peu l’ordonnance.

Et je lui ai dit que les beignets avec le diabète, c’était pas une bonne idée.

Et j’ai expliqué que le sel pour la tension en effet ce n’est pas conseillé.

Puis j’ai arrêté de parler.

Et elle a dit vous revenez bientôt ?

Ça fait cinq ans.

Sa situation s’est aggravée. Elle est passée pas loin de la sortie plusieurs fois. Pour ça, elle est très suivie. Elle appelle Secrétaire en disant que ça ne va pas du tout et quand j’arrive, ça va bien, mais elle a des trucs à me raconter sur ces spécialistes qui la suivent. Mal, évidemment, vous vous doutez bien. Et puis quelques potins, à propos de gens que je ne connais pas. Il manque toujours un médicament, je ne sais pas comment c'est possible.

Elle mange toujours des beignets. Un peu moins peut-être. Elle n’a pas arrêté le sel. C’est pas faute de lui dire de temps en temps.

Elle ne va pas si mal finalement.

Le chien est mort par contre.

Je ne lui ai pas encore dit que je pars. Je crois qu’elle le sait car elle m’a fait venir pour me donner des recettes, qu'elle a recopiées. Ou alors elle a l’impression d’aller plus mal et il y a urgence à transmettre certaines choses. Je ne sais pas.

Je sais juste que n’ai pas envie de lui dire au revoir.

Rédigé par Fluorette

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A
Bon courage !
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F
bon courage
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Z
moi aussi je m'en vais ...en quelque sorte je reste là mais je divorce d'avec la sécu et je préviens mes patients , je donne leurs dossiers à ceux qui ne pourront plus s'offrir mes services je leur dis que je n'ai pas d'autre solution... sinon déplaquer sans successeur . Et souvent ça fait très mal de dire au revoir/adieu à ceux qu'on a suivis pendant 20 -30 ans .Je n'étais pas préparé à ce traumatisme je gère comme je peux mais c'est pas simple
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F
C'est dur. Je n'aurais pas réussi sans être suivie par un psychologue. <br /> Bon courage à toi
V
La relation avec certains patients peut être parfois très étrange; on a beau mettre beaucoup de motivation et d'entrain à soigner une personne, c'est sa décision à accepter ces soins qui compte. Cela donne parfois lieu à des situations comme vous les décrivez si bien.
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M
Je crois qu'elle le sait, sinon elle n'aurait jamais filé la recette des beignets. C'est sans doute sa façon à elle de te dire au revoir.
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