Les pensées parasites
Publié le 18 Novembre 2012
Samedi soir, nous sommes debout, serrés l'un contre l'autre, ma main droite dans la gauche de MrPoilu, son bras autour de ma taille, ma main sur son épaule, nous dansons.
Je pense à ce patient, vu par Sylvie, à cette imagerie prescrite et sur laquelle il y a quelquechose. J'ai relu le dossier, je ne vois pas comment j'aurais pu m'orienter là dessus. Le patient n'a jamais mentionné aucun symptôme qui aurait pu l'évoquer. J'ai relu le dossier, mais comme Sylvie ne met pas de mot, jamais, c'est difficile de savoir sur quels arguments elle a prescrit cet examen. Comme elle ne m'adresse plus la parole, c'est délicat de lui demander.
Mon corps est ici et ma tête ne l'est pas.
Je retourne tout ça dans ma tête depuis hier. J'ai eu du mal à dormir cette nuit. J'aimerais savoir si je suis passée à côté de quelquechose. J'aimerais comprendre. Je voudrais savoir si je dois prescrire plus d'examens complémentaires. Je voudrais savoir s'il était possible cliniquement de détecter quelquechose et si j'ai fait une erreur. Je voudrais savoir si Sylvie a juste eu "de la chance", elle qui prescrit tant. Tous ces doutes, ces questionnements. L'absence de réponse...
MrPoilu m'embrasse dans le cou. Je frissonne.
J'aimerais voir ce patient et avoir son avis. Mais je pense que je ne le reverrai pas. Il ira se faire suivre par Sylvie. Je sais qu'il est toujours plus facile de passer en deuxième dans une histoire médicale. Le deuxième avis est orienté par le premier échec. Il n'empêche...
La musique change, MrPoilu ne me lâche pas. Il me regarde et me sourit. Tout à l'heure il a dit que je n'avais qu'à détendre mon esprit.
Il y avait surement des situations comme ça quand je remplaçais, mais j'avais peu de retours. Là ce sont mes patients et ça me ronge quand ça se passe comme ça. Je ne dis pas que j'aime quand c'est moi qui leur trouve des maladies, juste que si c'est moi qui les suis, je préfère les suivre vraiment, pas avoir la sensation d'être passé à côté de quelquechose. Je fais mon maximum, tous les jours, et je m'aperçois que ça ne suffit pas.
Il est temps d'aller se rasseoir pour manger. La boule au ventre est toujours là.
Soigner des vivants, c'est accepter qu'ils meurent. Soigner des humains, c'est comprendre que rien n'est jamais certain, ni leurs réponses, ni ce qu'on a appris, ni les effets attendus d'un traitement, ni les effets inattendus, rien. Au delà de la crainte du procès, c'est parfois avoir l'impression de tenir la vie des gens dans ses mains. Et c'est donc devoir supporter ses propres erreurs et ses manquements. Malgré tous les efforts pour ne pas en faire.
Détendre mon esprit, oui bien sur. Ca tourne et retourne dans ma tête.
Comment vivre avec ça? Comment vivre avec ses erreurs?
Le vin est vraiment dégueulasse ce soir...