Je voulais être médecin de campagne...
Publié le 12 Octobre 2011
... et puis finalement non.
J'ai décomposé en deux posts. Le premier (celui-ci) expose pourquoi ce changement et est un peu politique (donc chiant). Le deuxième raconte la journée qui a changé ma vision des choses, une journée d'une tristesse infinie. Ca ne va pas rigoler beaucoup sur ce blog prochainement.
Je n'ai pas toujours voulu être médecin. Je voulais aller étudier les gorilles, je voulais étudier des civilisations disparues puis j'ai voulu être journaliste scientifique ou ingénieur chimiste et tant d'autres choses un peu trop sérieuses. Tardivement j'ai voulu être médecin légiste alors j'ai pensé à la médecine. Et puis opérer des vivants m'a semblé mieux qu'opérer les morts. Et moi qui aimais tant les gens me suis rendue compte en stage que la chirurgie niveau contacts c'était pas trop ça. Aucun organe ne m'excitait plus que les autres. J'ai décidé d'être généraliste. Avec le recul, si j'avais fait dentaire j'aurais pu combiner mes désirs de contacts et mes capacités de bricolage. Mais "faire dentaire" était synonyme d'échec et ne me serait jamais venu à l'idée. Bref, c'est trop tard. Mais finalement, ce boulot me correspond bien. Ouf.
Pendant mes études, on m'a inculquée que je devais à la nation ces années d'études qu'on m'avait payées (hahaha allez raconter ça à mes parents) et que je faisais ce métier pour les autres. A aucun moment, on ne m'a parlé "plaisir d'exercer". A aucun moment, je n'ai eu l'impression d'être un être humain. On m'a conditionnée à devenir une machine laborieuse, qui ne dort pas et ne se plaint pas.
A la fin de mes études, je voulais ouvrir un cabinet en pleine campagne, je voulais "être là pour les patients", je me fichais bien d'être seule, je voulais être un médecin parfait. Mes lectures (dont La Maladie de Sachs) et mes profs de fac m'ont fait penser qu'on le pouvait et surtout qu'on le devait. J'ai continué de faire ce qu'on attendait de moi.
Suite à une journée particulière (prochain post), j'ai pris du recul, j'ai compris que je ne devais rien à personne, que j'avais chèrement payé cette "réussite". J'ai compris que la solitude était un mauvais choix pour moi, qu'elle soit personnelle ou professionnelle. J'ai compris que la médecine n'est pas un sacerdoce, qu'elle ne le sera jamais parce qu'un médecin qui ne fait que ça n'a pas le temps de mettre de la distance avec ce qu'il côtoie. J'ai compris que ce que nous vivons est trop dur parfois, que la misère du monde nous touche de plein fouet, que nous avons besoin d'une vie personnelle riche et agréable pour être de bons médecins (pas riche d'argent mais riche de rencontres, riche de bons moments et de petits plaisirs, riche d'humanité). Je sais maintenant que la dépression et le burn-out guettent tous les soignants, que ce n'est pas être faible que de prendre du temps pour soi et du recul. Je sais aussi combien il est dur de demander de l'aide quand on nous a inculqués qu'on devait être forts et parfaits. Il m'a fallu du temps pour comprendre que je ne le serai pas, qu'il était inutile de me rendre malade à cause de ça.
Quand parfois j'explique que je ne veux pas travailler trop, que je n'en suis pas capable, que je veux profiter de ma vie avec MrPoilu maintenant, au jour le jour avant qu'il ne nous arrive quelquechose, que j'ai besoin de me protéger, on me répond souvent "mais comment tes patients vont-ils faire?" ou le sublime "mais travailler c'est dur, qu'est-ce que tu crois!". Les gens ne comprennent pas. Parce qu'ils ne voient que le côté gratifiant et la nécessaire dévotion. Je ne rentre plus dans ce cadre. Et je culpabilise de ne pas être ce médecin parfait. Douloureuse ambivalence.
J'ai compris que je n'étais qu'un être humain. Comme les autres, pas mieux, pas pire mais surtout pas plus fort. J'ai compris nos confrères qui passent à l'acte parce que c'est trop dur, que la situation les dépasse, qu'ils n'ont personne vers qui se tourner ou qu'ils ont peur de demander de l'aide. J'ai compris que les discours culpabilisants et moralisateurs sont à mettre à distance. J'ai compris toute l'ambiguité de notre apprentissage à la fac et à l'hôpital. Et celle des patients qui disent comprendre que leur médecin ne souhaite pas finir à 22 heures mais qui demandent un passe-droit pour un rdv en urgence tard "pour moi s'il vous plait, parce que MOI vous me connaissez", ces mêmes qui reprochent que mes remplacés prennent des vacances.
J'ai passé ces putains de concours, j'en ai souffert physiquement et moralement. J'en reste abimée. Je croyais que ça valait le coup. Avec le recul, je ne suis pas sure. Je n'ai pas fait ce boulot parce que je voulais qu'on me flagelle tous les jours : à la télé, chez des amis, dans les journaux... J'en ai assez d'être culpabilisée tout le temps : par mes patients, par mes connaissances, par les instances. Peu de professions sont autant montrées du doigt. Le médecin est le nanti. On se trompe de cible. On tape moins sur le dos des patrons qui se versent des indemnités dont les montants sont si exorbitants. On ne parle que rarement des salaires de nos hommes politiques, de leurs scandaleuses retraites et pourtant pour brasser du vent, c'est bien payé.
J'étais fatiguée qu'on me dise avec agressivité "mais pourquoi vous ne vous installez pas ici? C'est bien ici. Pourquoi personne ne veut venir? Les jeunes c'est tous des feignants" dans un bled de l'Eure où il n'y a RIEN à des kilomètres à la ronde. Pas de poste, pas de boulangerie, pas de boulot pour MrMonMari, pas d'école.
Quand je sors prendre un verre, ça me gache mon moment quand on me demande pour la énième fois comment vont faire mes patients les jours où je ne travaille pas. Je n'aime pas qu'on me montre du doigt car je bricole à la maison et ne remplace pas. Je ne veux plus m'excuser de ne pas vivre dans un carton. Je ne vais pas à des repas de famille pour qu'on me reproche les franchises et les aberrations du système. J'ai envie de taper cette belle-mère (j'en ai deux, c'est compliqué) qui dit "j'ai vu un docu sur TFx et je comprends que Fluorette ne fasse que remplacer, ils ont dit qu'ils gagnaient 3 fois plus qu'un installé" (rhaaa achevez-moi je meurs)
J'en ai assez d'être le bouc-émissaire d'un système qui va dans le mur parce que les politiques font n'importe quoi depuis 30 ans. Je ne suis pas responsable de tout ça. Je n'ai pas décidé du numerus clausus, ce n'est pas moi qui ai "oublié" d'anticiper et ainsi créé une pénurie. J'en ai marre d'allumer mon ordi et de tomber sur des discours démagos pour les élections : "nous mettrons des médecins partout, soyez rassurés, on les obligera ces petits cons" Mais quels petits cons? Nous ne sommes pas assez pour être partout. Je suis fatiguée de lire les commentaires sur les sites internet, caricaturaux de bêtise et de méconnaissance. Je sais que ce sont des patients qui les écrivent et ça me desespère.
J'assume d'avoir abandonné mon rêve, qui n'était probablement pas vraiment le mien. J'assume de ne pas m'installer en rase campagne et de ne travailler au cabinet que 4 jours (je bosse aussi le cinquième jour mais différemment). J'assume de vouloir profiter de chaque jour qui passe, de préférer faire du vélo avec Mr Poilu, de choisir de ne pas travailler parfois pour bricoler chez nous, de prendre le temps de jouer du piano...
Je ne veux plus être médecin de campagne.*
Je rêve d'études où on apprendra aux étudiants en médecine avant tout à être humains et non pas à devenir des machines. Des machines qui ne dorment pas tant ils ont de gardes, qui ne vont pas aux toilettes ni ne mangent pendant leurs gardes, qui n'ont pas de vie personnelle... Un système où on apprendrait des choses utiles et pas des listes à ressortir bêtement pendant des examens encore plus bêtes. Un système où on nous ferait réfléchir. Un système où on apprendrait en stage la pratique. L'inverse de ce que j'ai vécu en somme.
Je rêve que nos politiques ne prennent pas de mesures inappropriées comme la coercition. Je pense que ça n'arrangera rien. Au contraire. Si je m'installe aujourd'hui, c'est que je me sens libre, que je m'installe dans un cabinet où je suis contente de travailler, où j'essaie de faire du bon travail. Je rêve qu'ils arrêtent de casser du bois sur notre dos pour faire de l'électoralisme de base. Je rêve qu'on refonde tout ça. Je rêve d'un système où la qualité primerait sur la quantité... Utopie.
J'ai gardé mon idéalisme, je continue de rêver d'un système parfait.
Ce système parfait n'est pas le nôtre. Il n'existe pas et je crois que nous n'y arriverons pas. Pour l'instant nous nous dirigeons droit dans le mur. A pleine vitesse. J'ai accroché ma ceinture et j'attends.
Bientôt le crash.
* C'est pourtant ce que je serai, aux yeux des statistiques. Mais pas dans ma pratique.
Edit : Ancolie a laissé ce commentaire :
"Mon projet de médecin de campagne est mort un été de remplacement avec une consoeur décédée d'un cancer en 6 mois qui a consulté jusqu'à 3 jours de son décès sur un tabouret à roulettes car ne tenant plus debout et en se faisant insulter car ne faisant plus de visites à domicile.
Je remplaçais un autre médecin du secteur, avec les 4 autres médecins du canton nour prenions en
charge ses urgences,les gardes, tous tellement le nez dans le guidon que personne n'avait pris conscience de son état.
Oraison funèbre d'un de ses patientsà son retour de vacances : quand même elle aurait pu s'arranger pour mourir à un autre moment comment on fait nous maintenant pour récupérer nos
dossiers."
J'ai vu ça aussi. Triste société.