Constant, 98 ans
Publié le 26 Janvier 2011
C'est samedi matin. La secrétaire me demande si je peux aller voir Constant. Sa fille a appelé parce qu'au téléphone il était confus. Il n'y a pas de panique. Ce n'est pas la première fois.
Quand j'arrive, Constant coupe du bois dans la cour. Il habite une très vieille maison de ferme, dans la campagne, entourée de grands arbres. Chauffage au bois.
Je me rappelle la première fois que je l'ai vu, il coupait de l'herbe à la faux pour les lapins, une autre fois j'ai même eu du mal à le trouver, il était au fond du champs et il n'avait pas vu ma voiture arriver. Il avait déjà 95 ans.
Depuis il n'a plus de lapins, c'était un peu compliqué à gérer pour lui et pour ses enfants pendant ses courtes hospitalisations.
Il a perdu son chien aussi. A chaque fois que je le vois, il me raconte qu'un jour le chien n'est jamais rentré. Il pense qu'il a été écrasé. Il ne se fait plus d'illusions, ça fait trop longtemps qu'il a disparu. C'est toujours la même histoire. Sa mémoire coince parfois.
Cela fait plusieurs années que sa femme est morte. Il n'en parle jamais.
J'aime bien Constant, je le vois bien qu'il vieillit. Il n'a plus que quelques dents, il me fait penser au Mister Jack de Tim Burton.
Je suis Constant dans la maison, puis dans la cuisine, seule pièce chauffée de la maison. Il éjecte le chat de la chaise en secouant la chaise et en l'insultant. Vu la propreté ambiante, j'hésite à m'assoir. Mais il veut que je m'assoie. On discute, il va mieux. Il sait que ce matin ça n'allait pas. Mais ça n'a pas duré. Il est donc sorti couper du bois « parce que ça ne va pas se faire tout seul ».
L'examen clinique de Constant est inchangé. Il est orienté, il n'a mal nulle part. Il va bien.
J'appelle la fille. Nous concluons tous les trois qu'il a dû faire un énième accident vasculaire. Je propose qu'il n'aille pas à l'hôpital, nous sommes tous d'accord.
Je me lève. Il s'énerve contre le chat qui fait ses griffes sur le mur. Il le pousse, le chat monte sur la chaise que j'ai laissée vacante. Il le vire de la chaise, le chat est têtu et remonte dessus. Finalement Constant abdique. Il n'y a que 2 chaises dans cette pièce, une pour chacun.
Je lui souhaite un bon week-end. Je pars.
Constant a 98 ans. Lui et son chat vont bien.
NB : Je crois sincèrement en l'intérêt pour les personnes âgées d'avoir un animal. J'avais été choquée en gériatrie qu'on leur conseille de ne pas en avoir car l'animal peut provoquer la chute. Depuis, je crois que leur message a changé. D'après mon expérience, les personnes âgées qui ont un animal ont un meilleur moral. (et caresser un chat fait baisser la fréquence cardiaque et la tension artérielle)