Alfred, 84 ans
Publié le 13 Août 2012
Il fait beau. La route pour aller chez Alfred est longue mais belle. Traverser les petits villages. S'arrêter pour observer un rapace blanc sur un poteau de
signalisation. Se faire klaxonner, évidemment. Rouler à travers les champs. Passer entre les arbres centenaires. Profiter de la vue sur les vallons. Autant de paysages inondés de soleil
surgissant à chaque virage. Une longue route, mais un joli moment.
Souvent, j'arrive tard parce que c'est loin et que je fais toutes les autres visites avant. Dans ces cas-là, il est devant la télé. Si j'y suis plus tôt, il est dans le jardin, il s'occupe des haricots, des tomates, etc. Aujourd'hui, il était à table et mangeait déjà.
Alfred me demande de venir tous les mois. Tous les vingt-huit jours exactement. Pourtant Alfred n'est pas vraiment malade. Certes, il a eu un cancer mais ça fait un bout de temps. Il a toujours une chambre implantable. Je propose à chaque fois de la faire retirer. Il refuse toujours. Ca me semble dangereux de laisser ça, mais ça fait déjà tellement d'années. Je ne peux pas l'obliger et c'est quand même pas moi qui vais la retirer. C'est comme son cancer, il y a cette boule que je vois, et qui ne grossit pas. Il ne veut pas voir de spécialiste, il ne veut voir personne. Il ne veut pas d'examen complémentaires. Cette boule, elle ne le gêne pas, elle ne change pas, il va bien. Et mon inquiétude le fait rire.
Alfred a toujours le sourire, il ne me reproche jamais l'irrégularité de mes horaires de passage, contrairement à certains. Il a des mouvements bizarres, dont il n'est jamais fait mention dans son dossier et qui n'inquiètent personne. Il a des difficultés d'élocution, qui ne sont pas non plus dans son dossier. M'enfin, son dossier c'est un peu le vide sidéral... Lui, quand il parle, je ne comprends pas tout, mais il n'a pas d'explications, il dit qu'il parle bien. Bon.
L'examen est toujours le même. Les traitements aussi.Des médicaments loin d'être vitaux.
Je pourrais faire le renouvellement pour trois mois. J'ai bien essayé. Il rappelle toujours.
Je ne sais pas pourquoi c'est si important pour lui.
Alfred a des enfants, qu'il voit souvent. Alfred a l'air heureux.
Moi je ne sais pas bien pourquoi je suis là et j'ai l'impression de voler de l'argent pour une visite inutile.
Il y a quelquechose qui m'échappe dans cette histoire et je n'arrive pas à mettre le doigt dessus.