Septembre 2004
Publié le 1 Septembre 2015
Normalement c’est aujourd’hui que je choisis. Normalement parce que ce n’est pas au point ce système de choix. J’espère que mon nom n’est pas passé hier, je n’ai pas regardé avant de partir. Nous sommes des milliers à avoir passé ce concours. Drôle de concours où il y a trop de places par rapport au nombre d’étudiants qui doivent choisir. Trop de places car c’est la première fois, alors il fallait bien qu’ils fassent passer la pilule avec quelque chose. Et si ça continue de faire penser que la médecine générale est le choix des nuls et des derniers puisque toutes les places ne seront pas pourvues, tant pis.
J’ai pris le train de bonne heure et pendant qu’il roule, les spécialités tournent dans ma tête. Ça fait des mois, des années même, que je pense au choix que je vais faire aujourd’hui. Je ne sais pas encore tout à fait ce que je déciderai quand je me retrouverai face au grand écran. J’ai pesé le pour et le contre. Les simulations sur internet ne sont pas complètement fiables. J’attends d’être sur place.
Il ne restera pas de spécialités en vogue comme la cardiologie, je suis trop mal classée pour cela mais ça ne m’a jamais attirée de toute façon. Un temps ça m’aurait dit d’être oncologue mais je ne me sens pas capable de faire ça toute la journée, de toute façon aujourd’hui mon classement ne me le permet pas. Oh je choisirais bien médecine générale mais au début je voulais faire de la chirurgie. Je sais qu’il y a un droit au remords possible, plus tard, si je choisis chirurgie et que ça ne me plaît pas. Est-ce que j’aime suffisamment ça pour passer tant de temps, tant de nuits à l'hôpital ? Probablement plus.
Quand j’arrive enfin dans l’amphi, il ne reste plus beaucoup de temps, il n’en reste que dix à décider et cela va très vite.
Rapidement dans ma tête, je revois mon médecin, celui chez qui j’aimais aller, avec sa grosse moustache, je revois mes stages aux urgences, toutes ces gardes que j’ai continué d’y faire même après avoir changé de stage, ce qui à l'hôpital ressemble le plus à de la médecine générale tout en étant si loin en fait, je pense à l’hôpital, à sa hiérarchie, à cette formation en seulement trois ans quand les autres semblent sans fin, aux possibilités offertes de sur-spécialisation en méd gé, je me souviens que “si vous êtes mauvais, vous finirez généraliste dans la Creuse”.
Mais ça y est, ils appellent “Fluorette Kipik” et je crie “médecine générale à Rouen”. Tant pis pour la Creuse.
Quelques mots pour décider une vie.
Voilà, ils appellent déjà le suivant. C’était facile finalement.
Mon internat a été ce que j’en attendais, mes stages en médecine générale furent au delà de mes espérances, j’ai rencontré des médecins formidables, loin de l’image du mauvais médecin ayant fait de la médecine générale par défaut. Je déplore de n'avoir pas été pas mieux formée pour les petits gestes chirurgicaux et pour l'échographie.
Aujourd’hui, je constate que mon installation est un échec. Un semi-échec, une semie-réussite, car j’ai progressé beaucoup, et j’ai rencontré des patients exceptionnels auprès desquels j’ai grandi et appris. Quand je regarde mes patients et vois à quel point ils sont gentils, je me souviens qu’on m’avait dit “on a les patients qu’on mérite”. Je suis "le médecin qui dit non et n'aime pas les médicaments". Mes patients aussi disent non. On négocie. Ça me va. C'est bien de s'être installée.
Peut-être les choses auraient-elles été différentes si je l'avais fait avec un de mes maîtres de stage, ou tout simplement avec quelqu’un d’autre. Peut-être cela aurait-il été plus facile en commençant l'hypnose plus tôt. Peut-être que bien entourée j'aurais la force de supporter le TP, la CPAM, etc. Peut-être que j’aurais été très heureuse de mon installation.
J’ai été syndicaliste, je me suis battue parce que j’y croyais, pour une meilleure formation, pour une meilleure médecine. Les douleurs dans ma vie personnelle font qu’aujourd’hui je n’ai plus la force de me battre pour de meilleures conditions de travail, mon énergie est pompée par ça.
Aujourd’hui, je pars, mais je pars grandie.
Je n’ai jamais regretté d’avoir choisi la médecine générale. Jamais.
Et surtout pas hier, quand Mr S m’a souri avec les yeux. Un jour je vous parlerai de Mr S.
Je cherche depuis le jour de la découverte des comptes bancaires et l'engueulade avec mon associé ce que je pourrais faire d'autre. J'ai la réponse : rien, je ne peux et ne veux rien faire d'autre. La médecine générale offre des possibilités immenses. La possibilité de choisir le mode d’exercice qu’on souhaite, à l’endroit qu’on souhaite, de faire des gestes, de suturer, de courir chez un patient avec son ECG sous le bras, de recueillir les pleurs, de prendre dans ses bras un parkinsonien qui tremble, de cotoyer toutes les tranches de la société, d'embourber sa voiture en allant en visite, d’expliquer des symptômes, de pleurer, de rire avec eux, d'appeler les infirmières, de discuter contraception, dépistages, de diversifier son exercice…
La médecine générale est une spécialité difficile de par sa diversité. Et c’est un beau métier. Le plus beau.